vendredi 19 mai 2017

Les Contes de Dame Mélie: vingt-neuvième chapitre

Les Chroniques de la Nouvelle-Calebaïs


D'un Tribunal d'Occitanie qui tint ses promesses


A quelques jours du solstice d'été, les Magi de Calebaïs se préparèrent pour le Tribunal d'Occitanie qui devrait décider de leur sort. De nombreuses accusations avaient été portées contre leur Alliance, chacune d'entre elle suffisamment grave pour avoir de sévères répercussions sur leur foyer. Tous décidèrent de se rendre à Doïsseteppe, à l'exception de Picard d'Ex-Miscellanea qui resta dans le puits pour veiller sur l'Alliance. Quelques compagnons et servants prirent la route avec les Pontifex au grand complet, pour la première fois sans doute depuis plus d'une décennie.

En cette saison, et avec l'aide de quelques sortilèges, le voyage fut aisé et rapide. La Domus Magnus du Tribunal occupait une position stratégique, au sommet du mont Célidar, à la frontière entre le compté d'Armagnac et l'Aragonais. Une sente étroite partait du village d'Osprey, passant entre une falaise rocheuse et un terrifiant précipice. C'est à partir de là, encore aujourd'hui, que la majestueuse Doïsseteppe apparaît à ses visiteurs, émergeant de la brume telle une vision fantasmagorique. L'Alliance en elle-même est un immense complexe de bâtiments et de souterrains. Masse lugubre hérissée de tours et de flèches, reliées par d'innombrables passerelles, elle réunit en un tout éclectique les fruits de diverses cultures, les réalisations de nombreux érudits et les produits d'une magie effroyablement puissante. Minarets, tours gothiques et rotondes romanes y côtoient des bâtiments romains.

Alors que l'extérieur parait froid et désolé, les visiteurs sans doute effrayés par tant de gloire passée, l'intérieur laisse apparaître de tout, de la touffeur décadente des bains jusqu'à la nuit glacée de souterrains oubliés. Les diverses salles à colonnes, corridors et passages abritent d'innombrables niches, renfoncements et alcôves, ornés de statues représentant d'obscurs héros classiques ou des créatures mythologiques étranges, parfois rassurantes, parfois terrifiantes.

Arrivés à destination les Magi furent accueillis par Valenus, factotum major de Doïsseteppe, et conduits à des appartements qui leur serviraient de Sanctum pendant leur séjour. Deux jours s'écouleraient avant le début officiel du Tribunal, et ils n'eurent pas long à s'apercevoir que négociations et marchandages divers étaient en cours. Nombre de promesses et de vœux pieux avaient été faits et entendus en sept ans, depuis le dernier Tribunal, et chaque Magus veillait à s'assurer que pactes et traités seraient respectés lors des votes. Gilles de Jerbiton en particulier, mais également les autres Magi, à l'exception notable de ma maitresse qui souhaitait se concentrer sur les débats, se mirent en quête de leurs alliés et obligés, rappelant à tous que s'ils étaient encore des vassaux de Doïsseteppe il fallait néanmoins compter avec la Nouvelle Calebaïs.

Ce fut la plus ancienne construction de Doïsseteppe qui acceuillit le Tribunal, le temple romain de Mercure. Le plafond, décoré de fresques superbes, du grand bâtiment rectangulaire repose sur plusieurs rangées de colonnes à caryatides ; le sol et les mursd sont couverts de mosaïques qui luisent doucement dans le clair de lune, que laissent passer les grands jours pratiqués sous le toit. Une statue dorée de Mercure occupe l'extrémité de la salle principale ; derrière elle pend un lourd rideau de brocard qui dissimule le Saint des Saints, interdit, sous peine de mort, à tout autre que les prêtres du dieu. Des bols où brûlent des flammes sont posés à intervalles réguliers dans le forum. Le milieu du temple est occupé par un cercle de 30 pieds de diamètre, dont le tracé est intégré aux mosaïques du sol. Exactement au-dessus du disque ainsi défini, le plafond est noirci et bosselé. Le cercle, doté d'une puissante aura magique, a été enchanté grâce à un rituel mercurien exécuté en collaboration par de nombreux Magi. Il accueille les Certamen mais également les orateurs désireux de s'adresser à leurs pairs pendant le Tribunal.

Au crépuscule du mercredi, jour de Mercure, une unique cloche au son éclatant sonna à la volée, marquant officiellement l'ouverture du Tribunal. Les portes du temple de Mercure furent poussées, et les prêtres précédèrent jusqu'à leur trône le Praeco et le Quaesitor observateur, balayant respectueusement devant eux la poussière des mosaïques, respectant un rituel à la signification depuis longtemps oubliée. Les Magi entrèrent à leur suite et se répartirent dans le vaste forum, où ils resteraient debout, tandis que le Praeco, Oxioum de Tytalus, se laissa tomber sur son trône posé sur une estrade juste devant la statue de Mercure. Le Quaesitor invité d'un autre Tribunal pour présider aux votes et observer que les débats se déroulent selon les antiques lois de l'Ordre se trouvait non loin de lui, à une petite table. Par un concours de circonstances heureux pour Dame Mélisandre, il s'agissait du Magus de Crintera Hermenegild, qui avait particulièrement apprécié ma maitresse lors de sa venue au-delà des Alpes. La magie était palpable dans la salle, chaque délégation ou presque avait redoublé d'attention dans le choix de ses enchantements afin d'impressionner ses adversaires hermétiques. 

Toutes les Alliances du Tribunal étaient représentées, à l'exception de Val Negra, considérée comme éteinte par tous, bien que les Magi de la Calebaïs sachent qu'il n'en était rien. Doïsseteppe comptait vingts thaumaturges présents contre neuf à Bellaquin, sa principale rivale. La Crête des Brumes, le Carrefour des Vents, Bérinor, Bentalone, Lariandre et la Rhune avaient elles aussi envoyé des délégations, certes moins fournies. D'autres Tribunaux, comme celui d'Ibérie, de Normandie et même celui de Transylvanie étaient représentés. Le Praeco du Tribunal présenta l'ordre du jour, ouvrant officiellement les débats. Je ne traiterai point ici des quatre jours de débats, car il suffira au lecteur curieux de se rendre à Doïsseteppe pour y consulter les minutes du Tribunal, mais uniquement des points concernant directement ou indirectement la Nouvelle Calebaïs.

Il est de coutume lors des Tribunaux que le premier point traité soit celui du passage d'apprenti à Magus à part entière, afin que le jeune magicien puisse participer aux débats et voter pour la première fois. Hélas le Praeco à toute latitude pour décider si le rituel officialisant le jeune Magus se déroule avant les débats, ou après. Afin de rappeler à l'Alliance de Bellaquin sa préséance, Oxioum de Tytalus ordonna deux jeunes apprentis de Doïsseteppe dès les premières minutes du Tribunal, tandis qu'il repoussa le rituel pour ceux de Bellaquin à la fin d'i-celui, entraînant des remous parmi ces Magi et leurs alliés. D'autres sujets furent abordés avant que les premières accusations contre notre Alliance fussent portées à l'oreille de tous.  Il s'agissait d'une dénonciation anonyme, imputant à ma maitresse et ses compagnons de commercer avec les Démons et la Maison mille fois maudite Diedne. Des murmures parcoururent la salle lorsque le Praeco lut l'accusation, entraînant un froncement des sourcils du Quaesitor qui jeta plusieurs sortilèges sur le parchemin avant de noter quelques mots en souriant.

Ce fut Nathanaël de Tytalus qui assura la défense de l'Alliance, et voilà ses propos retranscris avec la plus grande précision:
"Nous avons été accusés de pactiser avec le Démon, de rendre un culte au Diable et ses serviteurs mis au ban de l'Ordre, la trois fois maudite Maison Diedne. Nos accusateurs sont, nous en sommes certains, des parangons de justice et de vertu, qui, dans l'heure, apporteront leur sceau à nos propres accusations.

Car l'Alliance de la Nouvelle-Calebaïs souhaite que soient accusées les Maisons Tytalus et les Maisons Tremere, qui sont, nous en sommes certains, à la pointe de la lutte contre l'influence démoniaque sur notre Ordre. Que les Quaesitores qui ont enquêté il y a deux siècles sur la corruption de la Maison Diedne soient également couverts d’opprobre ! Que la Maison Bosinagus dans son ensemble, pour avoir accueilli en notre sein les traîtres serviteurs du Démon, soient désavoués !

Comment ? Cessez ces hurlements et ces cris d’orfraie ! Ne sommes-nous pas accusés pour ces raisons ? Pour les mêmes crimes ? Nous pourchassons le Démon et ses séides partout où nous le débusquons, car le tentateur cherche depuis la création de l'Ordre à poser sa main sur nous ! N'a-t-il pas réussi une fois ? N'avons-nous pas souffert dans notre chair et notre âme la trahison de nos frères Diedne ? N'avons-nous pas payé le prix fort de notre passivité ? Devons-nous cracher au visage de la Maison Tytalus et de la Maison Tremere pour leurs actes héroïques ? Pour la défense et la sauvegarde de nos connaissances et de nos savoirs ancestraux !

Par Mercure ! J'étais là lorsque une puissante créature démoniaque s'attaqua à notre convoi dans les froids marais au nord de la Domus Magnus Bjornaër. Nous fûmes assiégés pendant de longues heures, par une nuit sans Lune, sous la protection du Pourfendeur de Démons. Car c'est sous ce nom que vous me connaissez, éminents membres du Tribunal ! Épuisé, je frappais tant et si bien la bête qu'elle finit par s'effondrer. Nous étions saufs, mais à quel prix ! Ceux qui travaillaient à notre perte avaient invoqué à nouveau cette créature de l'Enfer, cette fois aux portes de notre Alliance. Car nous sommes une gêne pour le Démon ! Comment expliquer cela sinon ?

Devons-nous laisser le Diable et ses séides en paix, corrompre et détruire, s'emparer des apprentis de l'Ordre, de nos savoirs, de notre histoire ? C'est la défiance et la paranoïa qui détruisit la première et la grande Calebaïs. La corruption de l'âme des puissants, qui s'étaient détournés du cœur de notre office : comprendre le monde pour la plus grande gloire de l'Ordre. Que Mercure me foudroie si nous avons manqué à notre devoir ! Nous avons chassé chaque indice d'intervention sataniste sur les terres de l'Alliance, dans de vieux ouvrages comme dans l'esprit des Vulgaires.

Et nous avons extirpé le mal, jusqu'à dans l’Église ! A chaque fois que ce fut possible, notre intervention fut la plus légère possible. Une lettre de dénonciation, un accident dans les ruelles étroites d'une ville enneigée, une preuve dissimulée au bon endroit au bon moment. Mais l'ennemi riposta, et la Bête s'attaque à notre Alliance. Notre intervention diminua les risques encourus par l'Ordre, car la Bête fut vaincue et les vulgaires apaisés. Que serait-il arrivé si la Bête avait ravagé plusieurs villages, ne pouvant s'en prendre directement à nous ? Serions ici si nous avions laissé l’Église s'occuper des brebis galeuses en son sein ?

Vous craigniez une délégation papale. Mais la dernière était en partie composée de suppôt de Satan ! Aurions-nous du laisser nos ennemis enquêter sur l'Ordre ? Sur le Carrefour des Vents ? Sur la Crête des Brumes ? Sur Bellaquin ? Sur nos autres voisins hermétiques ? Qu'en serait-il aujourd'hui ?

Alors je vous le dis, amis et confrères du Tribunal, nous condamner sur ces accusations rien moins que fallacieuses, que dis-je, médiocres, reviens à laisser le Démon festoyer sur les restes moribonds de notre Ordre ! Nous nous y refusons !"

Aucune preuve n'étant avancée par l'accusation et le discours de Nathanaël de Tytalus ayant fait son effet, toutes les charges furent abandonnées. Le spectacle illusoire conçu par Dame Mélisandre pour illustrer le discours joua sans aucun doute un grand rôle dans cette disculpation. Une nouvelle plainte, cette fois du Carrefour des Vents, accusait l'Alliance d'interférer directement dans les affaires des vulgaires, notamment dans la baronnie de Blancastel. Ce fut Gilles de Jerbiton cette fois qui défendit les intérêts de Calebaïs:

« Nous étions il y a encore quelques années de simples apprentis de la puissante et glorieuse Alliance de Doisseteppe. Tous s'accordent du Tribunal d'Ibérie jusqu'au loin Tribunal du Levant, pour affirmer qu'il s'agit de le plus grande concentration de savoirs et de connaissances depuis la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie. Nous avons été formés par nos pairs ici présents. Nous avons été bien formés. Nous connaissons l'histoire de notre Ordre, de ses plus hauts faits jusqu'aux sombres périodes dont nos maîtres frissonnaient en nous contant combien nous étions proches de l'oblitération.

Nous étions de simples apprentis et nous sommes aujourd'hui une Alliance vassale de Doisseteppe. Nous sommes partis de peu, notre volonté et l'appui affirmé de nos anciens maîtres, désormais nos pairs, et nous avons rebâti une Alliance oubliée, abandonnée par des Magi pourtant d'une puissance que beaucoup jalousaient et jalousent encore. Nous avons recruté quelques Sodales, quelques compagnons de route nous ont rejoint, et nous avons essayé de vivre en bonne entente avec nos voisins.

Ici un puissante créature magique immémoriale, dont la Crête des Brumes pourra sans doute mieux parler que nous, qui aujourd'hui laisse en paix villages vulgaires et églises du Dieu crucifié. Là des cours féeriques, antagonistes, dont l'influence courre jusqu'aux portes de notre Alliance. Plus loin une tribu de créatures aussi vieilles que notre Ordre, qui aux portes de la guerre avec l’Église et les mortels, choisit une alliance avec l'Ordre et la dissimulation à un baroud d'honneur qui aurait lancé croyants et croisés sur nos traces. Nous avons pacifié la région qui entoure notre Alliance, et ce pour la plus grande gloire de l'Ordre !

Qu'en-est-il des vulgaires maintenant, que l'on nous accuse de manipuler ? Calebaïs est entourée de villages, de villes et de castels mortels. Nous ne sommes pas isolés sur un pic oublié de tous, dissimulé à la vue des vulgaires par des enchantements centenaires. Nous ne sommes pas Doïsseteppe. Lorsque les seigneurs des environs ont ouï le retour des étranges savants qu'ils savaient vivre dans l'ancienne Alliance, ils nous ont courtisé, sondé, ont cherché à nouer des contacts et des relations avec nous. Au pied même de la colline où se situe Calebaïs, à quelques heures de marche à peine, se trouvent des villages, des fermes, des champs.

Qu'aurions-nous du faire très chers pairs ? Ne pas nous nourrir ? Ne pas habiller nos sodales, les équiper et assurer la sécurité de l'Alliance ? Comment justifier au Seigneur de Blancastel, à son suzerain le comte de Foix, que des hommes vivaient désormais sur leurs terres sans payer la dîme, la gabelle, et ne participaient pas aux corvées ? Nous sommes des Magi, et malgré les recherches de notre Ordre, nous sommes dotés de corps de chair ! Nous ne pouvons nous passer des vulgaires pour vivre !

Alors nous avons noué des relations amicales avec les seigneurs des environs, faciliter mariages et alliances entre familles, en prenant à chaque fois nos conseils auprès de la famille Jerbiton pour ne pas affaiblir l'Ordre, pour ne pas dépasser nos prérogatives, pour ne pas rompre notre serment. Aujourd'hui les Seigneurs d'Acqs, de Blancastel, de Lacombe et même de Foix nous considèrent comme des voisins dignes d'intérêt, des amis ou des clients à protéger. Nous mettons au défi les Alliances du Tribunal qui vivent au contact des Vulgaires de ne pas avoir les mêmes relations avec leurs voisins ! Qu'ils viennent ici, sur leur sceau, jurer qu'ils n'ont et n'auront aucune relation avec leurs voisins ! Nous sommes mêmes reçus en amis par des prêtres, par des sœurs ayant voué leur vie à Dieu ! Grâce à nous l'Ordre n'est pas vu comme un danger, abritant de dangereux sorciers aux pouvoirs démoniaques, mais comme d'illustres intellectuels échappant au monde pour se consacrer à leurs recherches.

Nous attendons des questions précises qui pourraient remettre en cause nos actions, car nous avons agit en toute sincérité pour protéger l'Ordre, dans le respect de la Charte et de nos engagements."

Malgré les interruptions de Jiphrega de Jerbiton pendant son discours, puis ses tentatives pour décridibiliser Gilles de Jerbiton, les arguments du Carrefour des Vents furent facilement balayés par les interventions des Magi de notre Alliance. A la demande du Quaesitor, une commission de travail se réunirait et proposerait d'ici la fin du Tribunal une interprétation susceptible d'éviter de telles accusations quand au commerce avec les vulgaires. Une troisième accusation avait été portée contre Calebaïs, au sujet de nos interférences avec les Cours féériques, mais nos accusateurs, la Crête des Brumes, avaient retiré leurs charges suite aux nouveaux accords entre nos deux Alliances.

Le reste du Tribunal fut beaucoup plus calme, bien que Gilles de Jerbiton défia le Carrefour des Vents pour avoir proférer mensonges et billevesées à notre encontre. Orion de Verditius affronta notre accusatrice et la vainquit, emportant l'estime du Tribunal et une tour de Virtus du vaincu. Afin de renforcer leur aura sur leurs confrères, les Magi de Calebaïs offrirent à chaque apprenti ayant accompli le rituel au cours de ce Tribunal une saison dans nos murs. Nathanaël de Tytalus fit grand bruit avec son projet de jeux Calebaïtiques qui verraient s'affronter créatures magiques et thaumaturges dans des épreuves dignes des plus grands. Un Tremere venu de Transylvanie évoqua la question cathare et bogomile, et Gilles de Jerbiton l'invita à Acqs afin qu'il puisse rencontrer Radoslav à ce sujet. Les envoyés de Barcelone évoquèrent la Reconquista tandis que ceux de la Rhune firent état de leurs recherches sur la Dimension de la Raison, entrainant de nombreux murmures incrédules parmi les spectateurs. Enfin les deux Magi du Tribunal de Normandie, issus d'une Alliance sise sur le plus haut sommet d'Auvergne s'entretint avec ma Maitresse au sujet de la cérémonie introduisant le Tribunal. D'après Dame Mélisandre il laissa entendre que là-bas anciens rites Diedne et Mercuriens coexistaient.


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